C'est sans embûches qu'Idole arriva à proximité du commissariat : se mêler à un petit groupe de jeunes femmes accompagnées du chien de garde, un petit tour en bus, descente au gynécée... la routine... Le commissariat était à quelques centaines de mètres et le nombre de grands frères et de traqueurs augmentait au fur et à mesure qu'elle s'approchait. Il fallait qu'elle soit très discrète, s'aplatissant dans les embrasures de portes, disparaissant derrière un abribus... une fillette seule dans le quartier aurait immédiatement attiré l'attention.
Un petit espace vert aménagé face à l'entrée du bâtiment administratif lui servira de cachette jusqu'au soir : une immense et ridicule oeuvre végétale, haie de troënes taillés en forme de petite fille serrant dans ses bras un ours en peluche, offrait sous le jupon de clématites roses, un abri idéal jusqu'à la nuit. Idole s'y installa confortablement, non sans avoir enfin repris son aspect de sauvageonne... cheveux lâchés, jean et débardeur... la petite robe blanche fourrée prestement au fond du sac. Elle allait bientôt pouvoir passer à l'action.
Elle s'assoupit... combien de temps ? En tout cas, la nuit était tombée et il régnait au pied du commissariat une activité fébrile : trois camionnettes s'étaient arrêtées le long de l'immense mur gris, déversant une quinzaine d'hommes aux carrures impressionnantes sur le trottoir avant qu'ils ne s'engouffrent dans le bâtiment. Visiblement, les opérations de traque avaient plutôt lieu une fois le soleil couché... Si Idole voulait agir, c'était maintenant !
Elle s'approcha, ombre furtive, de l'enceinte de la bâtisse, et se mit à toute vitesse à peindre en lettres iodées des messages géants sur les façades... puis sortit de son sac les bouteilles remplies d'éther dans lesquelles trempaient des chiffons imbibés servant de mèches de fortune... les allumettes craquèrent... en quelques instants, les trois camionnettes se transformèrent en brasiers géants, éclairant de tous leurs feux des slogans encadrant un énorme A inscrit dans un cercle : « Notre corps nous appartient », « L'intime est politique », « Nous ne sommes pas des poupées »
Une énorme explosion, suivie d'une série de déflagrations déchaîna un branle-bas invraisemblable. Idole eut à peine le temps de disparaître dans la nuit, bondissant de flaque d'ombre en recoins sombres, jusqu'à ce qu'elle s'affaisse, terrassée par la douleur,... elle n'eut que la force de ramper vers l'ombre d'un porche , laissant derrière elle une traînée de sang...